Résumé
De la morale considérée comme l’un des beauxarts — librement démarquée de Michel Leiris, la formule condense au plus juste la thèse que je voudrais ici développer: le romantisme allemand a métamorphosé la conception que les Lumières se faisaient de la morale, et que Kant venait à peine de stabiliser en la fondant sur une base philosophique, universelle et définitive, pensaitil. L’esthétique déclarée souveraine, la morale devient affaire de rythme, de diapason. La musique et la danse règlent le pas; nouveau trébuchet des mœurs, le paradoxe décide de leur légitimité. Le retournement illustre le principe de jeu, d’ironie qui est au cœur du mouvement inauguré par Schlegel et Novalis: habillant le familier aux couleurs de l’inconnu, le soumettant par le désir et le rêve à une croissance exponentielle, brassant des univers et des disciplines jusqu’alors soigneusement tenus séparés, il laisse l’homme dans un rapport instable et inédit face à lui-même. L’ébranlement auquel procède la poésie, monarque qui n’admet pas d’autre royauté que la sienne, n’est pas simple jeu. Il peut aller, chez un Brentano ou Kleist, jusqu’à la traversée du chaos et de la nuit. Quand bien même la morale s’accommode encore en apparence du passé, elle est au plus intime d’elle-même habitée par le déchirement.
„Der eigentliche Wert, ja die Tugend des Menschen sei seine Originalität.“ „Moralität ohne Sinn für Paradoxie ist gemein.“1
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Remarques
On connaît la sentence de Goethe, selon laquelle le romantisme reposerait sur un fond de maladie (Gespräche mit Eckermann, 2. 4. 1824), et la décision de Hegel «aus dem Gebiete der Kunst […] die dunklen Mächte zu verbannen», qui frappe en particulier Hoffmann et Kleist (Ästhetik). Sur l’histoire de l’accueil longtemps mitigé réservé par l’Allemagne à son romantisme, voir E. Behler, Unendliche Perfektibilität, München/ Paderborn/ Wien 1991, et Karl Heinz Bohrer, Die Kritik der Romantik, Frankfurt a. M. 1989.
A. Béguin, L’Ame romantique et le rêve, Paris 1937; M. Raymond, De Baudelaire au surréalisme, Paris 1933; M. Mimer, La Fantasmagorie, Paris 1982, On est prié de fermer les yeux, Paris 1991; Cl. Pichois, La Littérature française à la lumière du surnaturalisme; in: Le Surnaturalisme français, W.T. Bandy Center for Baudelaire Studies, Neuchâtel 1979, pp. 9–28; J. Starobinski, Ironie et mélancolie: la ‹Princesse Brambilla› de E.T.A. Hoffmann, in: Critique, mai 1966. S’agissant du surréalisme, je me permettrai d’ajouter mon petit ‹Un brasier d’images›: Novalis dans le surréalisme français, in: Du romantisme au surnaturalisme, Hommage à Claude Pichois, Neuchâtel 1985, pp. 297–314. Parmi les innombrables travaux d’E. Behler, je citerai son édition des Œuvres de Friedrich Schlegel (Kritische Friedrich Schlegel Ausgabe, München/ Paderborn/ Wien 1967 et suiv., 31 vol. publiés, auxquels manquent encore quatre volumes de correspondance, édition désormais abrégée en KFSA), Unendliche Perfektibilität, op. cit., et l’article fort suggestif Nietzsche und die frühromantische Schule, in: Nietzsche Jahrbuch, t. VII, 1978, pp. 59–96.
R. Mortier, Diderot in Deutschland, 1750–1850, Stuttgart 21972.
Voir, par exemple: H. Steinecke, ‚Freiheit‘ und ‚Gleichheit‘ als Begriffe der Romanpoetik?, in: Revolution und Autonomie. Deutsche Autonomieästhetik im Zeitalter der Französischen Revolution, publ. par W. Wittkowski, Tübingen 1990, pp. 326–342; E. Behler, Unendliche Perfektibilität, pp. 7–11. Sur la dimension symbolique de la Révolution française, voir tout récemment B. Baczko, Mythes et représentations de la Révolution française, in: R. Zorzi, L’Eredità dell’ottantanove e l’Italia, Firenze 1992, pp. 39–56.
G. Oesterle, Arabeske, Schrift und Poesie in E.T.A Hoffmanns Kunstmärchen ‚Der Goldene Topf‘, in: Athenäum, 1991, pp. 69–107.
Cité par P. Bénichou, L’Ecole du désenchantement, Paris 1992, p. 599.
Sur la question du statut de l’écrivain, voir G. Sauder, Hölderlins Laufbahn als Schriftsteller, in: Hölderlin Jahrbuch, 1984, pp. 139–166. On mettra à part Novalis, qui vit de son métier d’ingénieur des mines.
Sur le cas exemplaire de Novalis, voir William Arctander O’Brien, Herstellung eines Mythos: Novalis Schriften in der redaktionellen Bearbeitung von Tieck und Schlegel; in: Zeitschrift für deutsche Philologie, 1992, t. 111, n° 2, pp. 161–180. Novalis, Schlegel, Brentano nous ont ainsi été rendus dans des éditions critiques qui autorisent une redécouverte.
L’article du dictionnaire de Grimm se présente ainsi: «Deutsch: 1. im eigentlichen Sinn, deutsches Recht, deutsche Sitte […]; 2. deutsch bezeichnet das Edle und Treffliche, und diese Bedeutung wurzelt in der unauslöschbaren Liebe der Deutschen zu ihrem Vaterland und in dem Gefühl von dem Geist, der es belebt; 3. in gutem Sinne, heisst deutsch reden offen, deutlich, derb, rücksichtslos sprechen, kein Blatt vor dem Mund nehmen […]» (Allemand : 1. Au sens propre, le droit allemand, les coutumes allemandes […]; 2. allemand s’applique à ce qui est noble, remarquable, acception qui prend ses racines dans l’amour inextinguible que les Allemands portent à leur patrie et dans le sentiment de l’esprit qui le vivifie; 3. en bonne part, parler allemand signifie parler franchement, clairement, sans prudence ni précaution […]). Voir encore E. Lämmert, Zur Wirkungsgeschichte Eichendorffs in Deutschland, in: Romantikforschung seit 1945, publ. par Klaus Peter, 1980, pp. 203–228.
Voir Les Confessions, livre IX, in: Œuvres complètes, édit. B. Gagnebin, Paris, I (1962), pp. 416–417; J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l’obstacle, 1957, et, infra, la sentence de Baudelaire, rapportée par Max Milner, selon laquelle Rousseau se serait enivré de vertu.
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Michaud, S. (1993). Les Morales du romantisme allemand. In: Brockmeier, P., Michaud, S. (eds) Sitten und Sittlichkeit im 19. Jahrhundert/Les Morales au XIXe siècle. J.B. Metzler, Stuttgart. https://doi.org/10.1007/978-3-476-04184-5_3
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