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Chapitre 2. Les limites de l’herméneutique de la Physique aristotélicienne chez Heidegger

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Part of the book series: Phaenomenologica ((PHAE,volume 223))

Abstract

Comment l’être de l’étant peut-il être tenu pour un procès d’éclosion s’effectuant dans la pleine lumière de l’éclaircie, alors même que Heidegger de plus en plus dans les années 30 insiste sur la part de voilement irréductible au cœur de toute entrée en présence ? En attestent de façon tout à fait claire deux thématiques centrales qui convergent dans le texte phare de ces années, les Beiträge zur Philosophie (1936–1938) : la vérité de l’être (Wahrheit des Seins) et l’histoire de l’être (Seinsgeschichte).

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Notes

  1. 1.

    Beit., p. 32.

  2. 2.

    « La pensée inventive (Er-denken) de l’estre (Seyn) ne pense pas simplement un concept, mais se libère des étants afin de rendre appropriée (ge-eignet) la détermination de la pensée sur la base de l’estre. La pensée inventive nous déplace hors de cette histoire dont les ‘événements’ ne sont rien d’autre que les à-coups (Stösse) de l’événement appropriant (Er-eignung) lui-même. Nous pouvons en dire seulement ceci que cela s’événementialise (ereigne)… » (ibid., p. 463).

  3. 3.

    Cf. supra., § 18-i/ii.

  4. 4.

    Beit., p. 32.

  5. 5.

    Beit., p. 15.

  6. 6.

    M. Heidegger, « Das Ende der Philosophie und die Aufgabe des Denkens », in Zur Sache des Denkens, op. cit., p. 78 ; « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », in Questions IV, op. cit., p. 303.

  7. 7.

    Cf. T. D’Aquin, Première question disputée. La vérité, trad. C. Brouwer et M. Peeters, Paris, Vrin (coll. Bibliothèque des textes philosophiques), 2002.

  8. 8.

    Le point est important : l’intention de Heidegger n’est pas dans Sein und Zeit de récuser le concept traditionnel de la vérité-adéquation, mais bien plutôt d’en montrer le caractère dérivé. Il s’agit donc de fonder l’approche traditionnelle de la vérité dans un concept plus originaire qui la rend tout d’abord possible et qui tend à être refoulé par elle : « La ‘définition’ [comme être-découvert (Entdecktheit) et être-découvrant (Entdeckendsein)] proposée de la vérité n’est pas évacuation (Abschütteln), mais au contraire appropriation (Aneignung) originaire de la tradition, et elle le sera d’autant plus si nous parvenons à montrer que et comment la théorie devait nécessairement, sur la base du phénomène originaire de la vérité, en arriver à l’idée d’accord » (SZ, p. 220). Ainsi, la critique heideggérienne du schème adéquationniste n’implique nullement une affiliation quelconque du côté d’une approche cohérentiste, selon laquelle la vérité se réduirait à un simple prédicat d’énoncés, c’est-à-dire à du sens propositionnel (Bolzano , Frege ). Cette solution est d’ailleurs pire encore que la théorie adéquationniste traditionnelle, parce qu’elle méconnaît la structure transitive de l’énoncé, irréductible à une quelconque unité significationnelle repliée sur elle-même (en soi), mais dont tout l’être consiste au contraire à faire voir (ἀποφαίνεσθαι) cela (l’être, l’étant) qui se montre (le phénomène).

  9. 9.

    L’attitude phénoménologique commence ainsi avec l’installation de la description sur les contenus intentionnels de la conscience. Cette thèse est posée dans l’introduction générale qui précède les 6 recherches : « C’est ici qu’intervient l’analyse phénoménologique. Les concepts logiques, en tant qu’on leur attribue la valeur d’unités de pensée, doivent tirer leur origine de l’intuition ; ils doivent provenir, par abstraction idéatrice, de certains vécus, pouvoir se vérifier toujours à nouveau si l’on réeffectue cette abstraction, et être appréhendés dans leur identité avec eux-mêmes » (E. Husserl , RL, « Einleitung », Hua XIX/1, p. 9–10 ; « Introduction », trad., p. 6). Or une page auparavant, Husserl avait expressément assimilé l’intuition dont il est question ici à un acte intentionnel de la conscience, dans un passage consacré à la fameuse distinction entre intention signitive (Bedeutungsintention) et acte intuitif de remplissement de signification (Bedeutungserfüllung) : « Pour parler plus exactement, [les objets vers lesquels s’oriente la recherche de la logique pure] sont donnés comme enrobés pour ainsi dire dans des vécus psychiques concrets, qui, dans leur fonction d’intention de signification ou de remplissement de signification – à ce dernier point de vue comme intuition servant soit à illustrer soit à créer une évidence – relèvent de certaines expressions linguistiques et forment avec elles une unité phénoménologique » (Hua XIX/1, p. 8 ; trad., p. 4).

  10. 10.

    « Ce qui est vrai est vrai absolument, est vrai ‘en soi’ ; la vérité est identiquement une, que ce soient des hommes ou des êtres d’une autre espèce, des anges ou des dieux qui l’appréhendent en jugeant » (E. Husserl , Hua. XVIII, p. 125 ; Recherches logiques. 1, Prolégomènes à la logique pure, op. cit., p. 130 ; passage cité plus haut, cf. supra., p. 168, note 15).

  11. 11.

    Cf. E. Husserl , RL VI, Hua. XIX/2, chapitre V : « L’idéal de l’adéquation. Évidence et vérité », § 36–39.

  12. 12.

    « [L]e sens prégnant (prägnante Sinn) du mot évidence (…) vise exclusivement (…) l’acte de (…) synthèse de remplissement la plus parfaite, acte qui confère à l’intention, par exemple à l’intention judicative, la plénitude absolue du contenu, celle de l’objet lui-même » (E. Husserl , RL VI, Hua. XIX/2, § 38, p. 651 ; trad. p. 150).

  13. 13.

    Sur la vérité contingente, voir par exemple G. W. Leibniz , Recherches générales sur l’analyse des notions et des vérités. 24 thèses métaphysiques et autres textes logiques et métaphysiques, trad. E. Cattin , L. Clauzade, F. de Buzon, M. Fichant, J.-B. Rauzy et F. Worms, Paris, Presses universitaires de France (coll. Épiméthée), 1998, p. 340.

  14. 14.

    SZ, § 44, p. 226.

  15. 15.

    Sur l’évolution de la conception heideggérienne de la vérité après Sein und Zeit, cf. L. Tengelyi , « Transformations in Heidegger’s Conception of Truth between 1927 and 1930 », in P. Vandevelde et K. Hermberg (éd.), Variations on Truth : Approaches in Contemporary Phenomenology, 2011, New York, Continuum (coll. Issues in phenomenology and hermeneutics), p. 94–109. Voir aussi D. O. Dalhlstrom , Heidegger’s Concept of Truth, Cambridge, Cambridge University Press (coll. Modern European Philosophy), 2001.

  16. 16.

    Dans les analyses conclusives de la conférence De l’essence de la vérité, Heidegger indique ainsi que l’existentialisation de la vérité dans Sein und Zeit est une position philosophique qui certes emprunte la voie du dépassement de la métaphysique (Überwindung der Metaphysik), mais elle se situe encore dans le passage qui doit mener la pensée plus loin encore, vers la « vérité de l’être » (Wahrheit des Seins) – au double sens du génitif alors : « La question décisive (Sein und Zeit, 1927) du ‘sens’ de l’Être, c’est-à-dire (Sein und Zeit, p. 151) de la portée de la projection, c’est-à-dire de l’ouverture, ou encore de la vérité de l’Être et non pas seulement de l’étant, n’y est intentionnellement pas développée. La pensée s’y tient apparemment dans la voie de la métaphysique mais n’en réalise pas moins dans ses démarches décisives – lorsqu’elle passe de la vérité comme conformité [c’est la position de la métaphysique traditionnelle eu égard à la vérité] à la liberté ek-sistante [conception de Sein und Zeit] et de celle-ci à la vérité comme dissimulation et errance [position des années 30, où la structure de la dissimulation se loge au cœur de la vérité de l’être] – une révolution de l’interrogation qui entraîne un dépassement de la métaphysique. Le savoir acquis ici culmine dans cette expérience décisive : c’est seulement à partir du Da-sein, dans lequel peut s’engager l’homme, que se prépare pour l’homme historique la proximité de la vérité de l’Être » (GA 9, p. 201–202 ; « De l’essence de la vérité », in Questions I et II, op. cit., p. 193–194).

  17. 17.

    « Le Dasein, parce qu’il est essentiellement déchéant, est, selon sa constitution d’être, dans la ‘non-vérité’ » (SZ, p. 222, trad. modifiée).

  18. 18.

    La vérité conçue dans l’horizon de la conquête ouvre à un espace de problématisation qui est probablement beaucoup moins grec que chrétien. Il faudrait mobiliser ici la différence inédite qu’institue Augustin entre deux modalités de la vérité : veritas lucens (la vérité qui luit) et veritas redarguens (la vérité qui confond ou repousse, la vérité comme cela que nous ne voulons pas voir). Cf. Augustin, Confessions, X, 23, 34 (in Œuvres, I, trad. P. Cambronne, Paris, Gallimard [coll. La Pléiade], 1998, p. 1004–1005). Nous renvoyons également au commentaire de J.-L. Marion dans Au lieu de soi : l’approche de Saint Augustin, Paris, Presses universitaires de France (coll. Épiméthée), 2008.

  19. 19.

    « La vérité (être-découvert) doit toujours d’abord être arrachée à l’étant. L’étant est arraché au retrait. À chaque fois, la découverte factice est pour ainsi dire toujours un rapt (Raub) » (SZ, p. 222). Seulement, si la non-vérité n’est jamais simplement l’erreur (au sens de la non-conformité de l’énoncé avec un état de chose) mais la manière dont le Dasein se tient lui-même dans l’inauthenticité (la non-vérité tient plutôt alors de la propension du Dasein à se mentir sur soi-même), alors la vérité consiste à l’inverse dans la véracité, et elle ouvre d’emblée à la question de l’authenticité. Mais cela pose évidemment un problème pour l’analyse de la vérité au § 44, qui était tout de même censée au premier chef faire tout autre chose que d’ouvrir à une « éthique » de la véracité, à savoir fonder la théorie épistémologique adéquationniste de la vérité. En effet, Heidegger voulait établir à quelles conditions un énoncé pouvait être vrai au sens de la connaissance (le cas traité était celui de savoir comment pouvait être vraie la proposition « Le tableau accroché sur le mur est penché »). La réponse – nous l’avons dit – était qu’il fallait référer la vérité de l’énoncé à l’être-découvrant du Dasein. Mais celui-ci ne peut-il donc pas se tromper alors même qu’il se trouve dans l’authenticité ? Mais surtout, la problématique épistémologique de la vérité n’est-elle pas totalement distincte de la problématique « éthique » (ou « existentielle » faudrait-il corriger) de l’authenticité ? Il y a là un problème grave. Nous renvoyons ici évidemment aux analyses décisives d’E. Tugendhat , Der Wahrheitsbegriff bei Husserl und Heidegger, Berlin, W. de Gruyter, 1967.

  20. 20.

    GA 9, p. 193 ; « De l’essence de la vérité », in Questions I et II, op. cit., p. 182 (trad. modifiée).

  21. 21.

    « L’abandon par l’estre (Die Seynsverlassenheit) arrive (geschieht) aux étants et en effet à l’étant en totalité, et par là même à cet étant qui, en tant qu’homme, se tient parmi les étants et, ce faisant, oublie (vergisst) leur estre » (Beit., p. 116). Dans le « Protocole d’un séminaire sur la conférence “Temps et être” », Heidegger écrit que « l’histoire de l’être est l’histoire de l’oubli croissant de l’être » (M. Heidegger, « Protocole d’un séminaire sur la conférence ‘Temps et être’ » [1962], in Questions III et IV, op. cit., p. 263).

  22. 22.

    Beit., p. 111.

  23. 23.

    Cf. W. Richardson , Heidegger : Through Phenomenology to Thought, La Haye, Nijhoff (coll. Phaenomenologica), 1974. Cf. M. Heidegger, « Lettre à Richardson » (1962), in Questions IV, op. cit. : « [S]i nous comprenons la ‘phénoménologie’ comme : se laisser dire la ‘question la plus propre de la pensée, alors le titre [de l’ouvrage de Richardson, Le Chemin de la phénoménologie à la pensée de l’être] devrait être ‘un chemin à travers la phénoménologie jusque dans la pensée de l’être’. Ce génitif dit alors que l’estre comme tel (das Seyn) se montre du même coup comme ce qui est à penser, ce qui a besoin d’une pensée qui lui réponde » (p. 344–345, trad. modifiée).

  24. 24.

    « La question de l’être est la question de la vérité de l’estre. Lorsqu’elle est saisie et mise en œuvre historialement, elle devient la question fondatrice (Grundfrage), à la différence de la question précédente de la philosophie, la question des étants (la question directrice [Leit-frage]) » (Beit., p. 6). En réalité, la pensée heideggérienne d’avant-tournant est à mi-chemin entre la question directrice et la question fondatrice, puisque si elle pose bien la question de l’être (et non plus celle de l’étant), elle réfère encore immédiatement l’être à l’étant, et principalement à celui qui, en son être, ouvre la question de l’être : le Dasein.

  25. 25.

    À notre connaissance l’expression n’est pas de Heidegger mais de M. Haar , dans Heidegger et l’essence de l’homme, op. cit., p. 225–239 (« L’homme planétaire »). Cf. M. Heidegger, « Die Zeit des Weltbildes » (1938), in GA 5, op. cit. ; « L’époque des ‘conceptions du monde’ », in Chemins qui ne mènent nulle part, op. cit. : « Dans l’impérialisme planétaire de l’homme organisé techniquement (Im planetarischen Imperialismus des technisch organisierten Menschen), le subjectivisme de l’homme atteint son point culminant, à partir duquel il entrera dans le nivellement de l’uniformité organisée pour s’y installer à demeure ; car cette uniformité est l’instrument le plus sûr de l’empire complet, parce que technique, sur la terre » (GA 5, p. 111 ; Chemins qui ne mènent nulle part, op. cit., p. 144).

  26. 26.

    Beit., p.126. Dans le cours de 1935, Introduction à la métaphysique, Heidegger ajoute une troisième source grecque de la machination : τὸ μαχανόεν : « La violence, le violent, en quoi se meut l’agir du faisant-violence, c’est tout le champ de la machination (Machenschaft) (τὸ μαχανόεν). Nous ne prenons pas le mot ‘machination’ au sens péjoratif. Nous pensons par là quelque chose d’essentiel, qui s’annonce à nous dans le mot grec τέχνη » (GA 40, p. 168 ; IM, p. 165).

  27. 27.

    « Le fait que quelque chose se fabrique par soi-même et par conséquent est fabricable dans une opération correspondante : le se faire soi-même est l’interprétation de la φύσις menée en termes de τέχνη et son orientation sur les choses » (Beit., p. 126).

  28. 28.

    « [L]a φύσις doit être interprétée en correspondance avec le ποιούμενον de la ποίησις (cf. Aristote ultimement [schliesslich]), et (…) la φύσις n’est plus suffisamment puissante pour faire valoir d’elle-même sa propre vérité, au-delà de la παρουσία et de l’ἀλήθεια, (…) » (ibid., p. 184). Ou encore : « L’ἐπέκεινα τῆς ούσίας [‘l’au-delà de l’essence’] en tant qu’ἀρχή τοῦ ὄντος [‘l’origine des étants’] possède, pour autant qu’il est la mesure de l’εὐδαιμονία, le caractère du θεῖον et du θεός. Cf. Aristote » (ibid., p. 211).

  29. 29.

    On prendra ainsi en vue l’interprétation par Heidegger du mythe de la caverne comme mutation de l’essence grecque de la vérité. Cf. M. Heidegger, « Platons Lehre von der Wahrheit » : GA 9, p. 230–231 ; « La doctrine de Platon sur la vérité », trad. A. Préau, in Questions II, Questions I et II, op. cit., p. 459 : « Quand, dans la caverne, l’homme libéré se détourne des ombres pour considérer les choses, il dirige déjà son regard vers ce qui ‘a plus d’être’ que de simples ombres (…) : ‘ainsi tourné vers ce qui a plus d’être, il voit sans doute d’une façon plus exacte’ [République, 515d, 3–4]. Passer d’un état à un autre, c’est regarder d’une façon plus exacte. Tout est subordonné à l’ὀρθότης, à l’exactitude du regard. Par cette exactitude, la vue et la connaissance deviennent correctes, de sorte que finalement elles visent directement l’Idée suprême et se fixent dans cette ‘visée’. Ainsi orientée, la perception se conforme à ce qui doit être vu. C’est là le visage (Aussehen) de ce qui est. Cette adaptation de la perception, de l’ἰδεῖν, à l’ἰδέα, entraîne une ὁμοίωσις, un accord de la connaissance et de la chose elle-même. De cette prééminence conférée à l’ἰδέα et à l’ἰδεῖν sur l’ἀλήθεια résulte un changement dans l’essence de la vérité. La vérité devient l’ὀρθότης, l’exactitude de la perception et du langage ».

  30. 30.

    « Avec cette résolution de la première fin du premier commencement (dans la philosophie platonico-aristotélicienne ), il devient possible que cette philosophie platonico-aristotélicienne et, sous sa forme, toute la philosophie grecque en général qui suit, fournissent le cadre et le fondement pour la foi judéo-chrétienne (Philon-Augustin ), et peuvent de ce point de vue être prises comme des précurseurs du Christianisme, précisément en tant que ‘paganisme’ surmonté » (Beit., p. 211).

  31. 31.

    « Le concept médiéval d’actus recouvre déjà l’essence grecque primordiale de l’interprétation de l’étantité. À cela est connecté le fait que le machinal maintenant s’impose encore plus clairement et que, à travers l’entrée en jeu à la fois de la pensée judéo-chrétienne de la création et la représentation correspondante de Dieu, ens devient ens creatum » (Beit., p. 126). Ou bien : « L’abandon de l’étant signifie que l’être s’est retiré et que l’étant est devenu initialement (dans les termes du christianisme) seulement un étant produit par un autre étant. Un tel étant suprême compris comme cause de tous les autres s’empara de ce qu’il y de plus propre à l’être » (ibid., p. 111).

  32. 32.

    Cf. M. Foucault , L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard (coll. Tel), 1969, (III, chap. V, « L’a priori historique et l’archive », p.173–181). À la différence de Heidegger cependant, les a priori historiques chez Foucault ne sont en rien assimilables à de quelconques formations époquales déposées par un mouvement historial ayant son origine dans un temps plus ancien. Autrement dit, Foucault avec sa lecture de l’histoire fragmentée et discontinue conteste un point que Heidegger assume, à savoir le fait qu’il existerait à même l’histoire une continuité par-delà les ruptures, et que celles-ci seraient toujours susceptibles d’être reconduites à une seule et même logique processuelle (chez Heidegger : au mouvement de la machination par lequel s’effectue depuis les Grecs l’abandon de l’étant par l’être). Pour un éclairage sur la question du statut des a priori historiques chez Foucault, nous renvoyons à l’étude de J.-F. Courtine , « Foucault lecteur de Husserl . L’a priori historique et le quasi-transcendantal », in Giornale di Metafisica, nuova Serie, 2007 (29-1), p. 211–232.

  33. 33.

    Beit., p. 127.

  34. 34.

    Nous renvoyons ici à M. Heidegger, « Die Frage nach der Technik » (1953), in GA 7 ; « La question de la technique », in Essais et conférences, op. cit.

  35. 35.

    Beit., p. 127.

  36. 36.

    Cf. M. Heidegger, Gelassenheit (1959), Pfullingen, Neske, 1992 (10e édition), p. 13 ; « Sérénité », trad. A. Préau, Questions III, in Questions III et IV, op. cit., p. 137, où la pensée calculante est opposée à la pensée méditante (besinnliches Denken).

  37. 37.

    Sur l’analyse heideggérienne du sens d’origine de la mathématique référée chez les Grecs à l’apprentissage (τὰ μαθήματα, μάθησις), nous renvoyons au cours de 1935–1936, Die Frage nach dem Ding. Zu Kants Lehre von den transzendentalen Grundsätzen (GA 41) ; Qu’est-ce qu’une chose ?, op. cit. (B. I. v. b : « Le mathématique, μάθησις », trad. p. 81–88 [GA 41, p. 69–77]).

  38. 38.

    Cf. l’ouverture de la conférence « La chose » (1950) : « Dans le temps et dans l’espace toutes les distances se rétractent. Là où l’homme n’arrivait jadis qu’après des semaines et des mois de voyage, il va par air en une nuit. Ce dont l’homme autrefois n’était informé qu’après des années, ou dont il n’entendait jamais parler, il l’apprend aujourd’hui en un instant, heure par heure, par la radio. La germination et la croissance des végétaux, qui demeuraient cachées pendant tout le cours des saisons, nous sont maintenant présentées par le film en l’espace d’une minute (…). L’homme dans le temps le plus court arrive au bout des trajets les plus longs. Il fait passer derrière lui les plus grandes distances et place ainsi devant lui toute chose à la distance la plus petite » (M. Heidegger, « Das Ding », GA 7, p. 167 ; « La chose », EC, p. 194). Le texte met bien en avant le fait que la rapidité est indistinctement un phénomène spatial et temporel.

  39. 39.

    « Mais si la curiosité libérée se préoccupe de voir, ce n’est pas pour comprendre ce qui est vu, c’est-à-dire pour accéder à un être pour lui, mais seulement pour voir. Elle ne cherche le nouveau que pour sauter à nouveau de ce nouveau vers du nouveau » (SZ, p. 172).

  40. 40.

    C’est pourquoi les possibilités techniques de reproduction standardisée des œuvres d’art, à l’époque contemporaine, détruisent par principe l’idée même de l’art. De ce point de vue, Heidegger ne pourrait que récuser l’approche d’un Walter Benjamin , pour qui tout au contraire les techniques permettant de reproduire les œuvres à l’infini conduisent à démocratiser l’accès à l’art par les masses (toujours les masses, mais humaines cette fois, et en un sens positif, à la suite de Marx !). Chez Benjamin la sacralité et l’aura de l’œuvre classique, fondées sur sa singularité, doivent être dépassées historiquement afin que l’art accomplisse sa véritable mission : non pas la mise en œuvre de la vérité de l’être (Heidegger), mais bien la politisation des masses, prélude d’une société nouvelle et émancipée dans le communisme. Cf. W. Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (2e version), in Œuvres III, trad. M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch, Paris, Gallimard (coll. Folio essais), 2000, p. 269–317.

  41. 41.

    Nous renvoyons là encore à « La question de la technique », notamment à l’exemple célèbre que prend Heidegger de la centrale hydraulique sur le Rhin, et la différence essentielle entre ce type d’étant et le vieux moulin d’antan. Cf. EC, p. 21–23.

  42. 42.

    Beit., p. 111 (voir supra., p. 253).

  43. 43.

    Ibid., p. 189.

  44. 44.

    F. Hölderlin , Antigonä (traduction de 1804), in Sämtliche Werke. Historisch-kritische Ausgabe (t. 5), éd. N. von Hellingrath puis F. Seebass, Munich, Leipzig, G. Müller, 1913 : « Ungeheuer ist viel. Doch nichts Ungeheuerer, als der Mensch » (p. 202 ; « L’énorme comprend beaucoup de choses. Mais rien de plus énorme que l’homme »). Toutefois, Heidegger ne manque pas de rappeler que Hölderlin, quelques années auparavant (en 1801 d’après Hellingrath), avait proposé une autre traduction de la première strophe du stasimon d’Antigone, où τὸ δεινόν était rendu alors par « gewaltige » (puissant) : « Vieles gewaltige giebts. Doch nichts ist gewaltiger, als der Mensch » (F. Hölderlin, op. cit., p. 3). La première traduction (la plus récente, celle de 1804) retient les faveurs de Heidegger. Cf. M. Heidegger, Hölderlins Hymne « Der Ister », GA 53, p. 84–86.

  45. 45.

    Nous renvoyons ici encore au cours de 1942 sur l’hymne de Hölderlin « Der Ister » : « Pour résumer, nous pouvons plus ou moins délimiter le champ de signification du δεινόν comme suit. Il signifie trois choses : l’effroyable (das Furchtbare), le puissant (das Gewaltige), l’inhabituel (das Ungewöhnliche). (…) En traduisant, nous avons rendu τὰ δεινα par ‘l’étrange-inquiétant’ (das Unheimliche) » (GA 53, p. 78). Le terme unheimlich, qui a déjà valeur technique dans le corpus freudien (voir par exemple S. Freud , « Das Unheimliche » [1919], in Gesammelte Werke. Werke aus den Jahren 1917–1920 [t. XII], Frankfurt am Main, Fischer, 1940, p. 227–269), faisait également partie de l’analyse existentiale de Sein und Zeit, dans le cadre des fameuses descriptions de l’angoisse (Angst) : « Dans l’angoisse, ‘c’est inquiétant’, ‘c’est étrange’ (unheimlich). Ici s’exprime d’abord l’indétermination spécifique de ce auprès de quoi le Dasein se trouve dans l’angoisse : le rien et nulle part. Mais ce caractère inquiétant, cette étrang(èr)eté signifie en même temps le ne-pas-être-chez-soi (Nicht-zuhause-sein) » (SZ, p. 188). Plus tard, à la faveur de l’interprétation de Hölderlin, Heidegger reliera beaucoup plus franchement l’inquiétante étrangeté au « ne-pas-être-chez-soi » conçu cette fois en termes d’« inhospitalité » (das Unheimische), terme qui signifie en même temps le déracinement, l’absence de patrie. Nous allons commenter un peu plus loin ce rapprochement à la fois conceptuel et sémantique entre « unheimlich » et « unheimisch ».

  46. 46.

    Nous renvoyons, sur la question du combat chez Heidegger et de sa provenance dans une méditation sur Héraclite (fragment 53, éd. Diels / Kranz  : « Πόλεμος πάντων μὲν πατήρ ἐστί »), aux analyses de J.-F. Courtine dans Archéo-Logique. Husserl , Heidegger, Patočka , op. cit. (chapitre VI : « Πόλεμος / Λόγος »). Les développements qui suivent s’inspirent de ces analyses que J.-F. Courtine exposa dans son séminaire en Sorbonne (2011–2012), alors que nous étions son doctorant. Cf. aussi G. Fried , Heidegger’s Polemos, From Being to Politics, New Haven/ Londres, Yale University Press, 2000. Nous renvoyons également à S. Jollivet , « Enjeux de la polémologie heideggérienne : entre Kriegsideologie et refondation politique », Astérion, 2009 (6).

  47. 47.

    « La guerre est le père de toutes choses, et de toutes choses il est le roi ; c’est lui qui fait que certains sont des dieux et d’autres des hommes, que certains sont des esclaves quand d’autres sont libres » (Héraclite , Fragments : citations et témoignages, op. cit., p. 126).

  48. 48.

    GA 40, p. 66 ; IM, p. 72, trad. modifiée.

  49. 49.

    Il suffit de considérer le texte suivant extrait de L’introduction à la métaphysique : « En tant que brèche où l’être mis en œuvre s’ouvre dans l’étant, le Dasein de l’homme historial est un in-cident (Zwieschen-fall), l’incident dans lequel, soudain, les puissances déchaînées de la surpuissance de l’être (Übergewalt des Seins) libérée s’épanouissent et, en tant qu’histoire, deviennent œuvre » (GA 40, p. 172 ; IM, p. 169).

  50. 50.

    GA 40, p. 66 ; IM, p. 72 (trad. modifiée).

  51. 51.

    Ibid., trad. modifiée.

  52. 52.

    « Si tout art est, en son essence, Poème, l’architecture, la sculpture, la musique doivent pouvoir être ramenées à la poésie. Voilà une proposition purement arbitraire. Certainement, aussi longtemps que nous interpréterons ceci comme voulant dire que les arts cités sont des variantes de l’art de la parole, à supposer qu’il soit permis de désigner la poésie par cette appellation prêtant facilement à malentendus. Mais la poésie (Poesie) n’est qu’un mode parmi d’autres du projet éclaircissant de la vérité, c’est-à-dire du Poème (Dichten) au sens large du mot. Cependant, l’œuvre parlée, la poésie au sens restreint, n’en garde pas moins une place insigne dans l’ensemble des arts » (GA 5, p. 60–61 ; OA, p. 82).

  53. 53.

    Sur le caractère historial de la politique : « On traduit πόλις par État (Staat) et Cité (Stadtstaat) ; cela ne rend pas le sens plein. Πόλις signifie plutôt le site (Stätte), le là, dans lequel et en vertu duquel le Dasein est historial. La πόλις est le site de l’histoire (Geschichtsstâtte), le là dans lequel, à partir duquel et pour lequel l’historicité arrive (das Geschichte geschieht) » (GA 40, p. 161 ; IM, p. 159, trad. modifiée).

  54. 54.

    GA 40, p. 200 ; IM, p. 195, trad. modifiée.

  55. 55.

    GA 40, p. 160 ; IM, p. 158, trad. modifiée.

  56. 56.

    GA 53, p. 128, nous soulignons.

  57. 57.

    Heidegger l’écrit de façon tout à fait claire dans les Beiträge, dans un passage inhabituellement critique à l’égard de la pensée grecque en son entier : « Parce que l’ἀλήθεια devient φῶς [‘lumière’], c’est-à-dire est comprise en termes de luminosité, le caractère de l’alpha-privatif est également perdu. L’être-voilé (Verborgenheit) et le voilement (Verbergung), leur provenance et leur fondement n’entrent jamais en question. N’entrent en ligne de compte, pour ainsi dire, que les aspects ‘positifs’ du dévoilement (Unverborgenheit), c’est-à-dire ce qui est librement accessible ainsi que l’émergence (Ansatz) de l’accès ; et ainsi ἀλήθεια dans cette perspective perd également sa profondeur originaire et son caractère abyssal (Abgründigkeit), si l’on part du principe que l’ἀλήθεια fût jamais interrogée pensivement selon cette direction. Or rien ne pointe dans une telle direction, à moins que nous ne supposions que la portée et l’indétermination de l’ἀλήθεια dans son usage pré-platonicien exigeait une profondeur correspondante elle-même indéterminée » (Beit., p. 332).

  58. 58.

    GA 5, p. 50 ; OA, p. 70.

  59. 59.

    Ainsi, dans « Bâtir, habiter, penser » (1951), Heidegger écrit : « Mais ‘sur terre’ déjà veut dire ‘sous le ciel’. L’un et l’autre signifient en outre ‘demeurer devant les divins (die Göttlichen)’ et impliquent ‘appartenant à la communauté des hommes’. Les Quatre : la terre et le ciel, les divins et les mortels, forment un tout à partir d’une Unité originelle (…). Lorsque nous disons ‘la terre’, nous pensons déjà les trois autres avec elle » (GA 7, p. 151 ; EC, p. 176). On assiste alors à une inflexion dans la description de la terre, puisque celle-ci désigne beaucoup moins la dimension de réserve et de retrait que celle de soutien pour les étants. La terre devient une matrice et une nourrice, elle porte l’étant en l’abritant dans l’ouvert : « La terre est celle qui porte et qui sert, elle fleurit et fructifie, étendue comme roche et comme eau, s’ouvrant comme plante et comme animal » (ibid.).

  60. 60.

    « L’obscur est certes sans lumière, mais éclairci » (GA 15, p. 262 ; HS, p. 222 ; cf. supra., première partie, § 7-ii/iii).

  61. 61.

    Nous renvoyons au texte déjà cité (cf. supra., p. 152, note 143) des Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine, où Schelling distingue entre Dieu (l’être originaire, pensé à partir de l’équation : « le vouloir est l’être-originaire » – « Wollen ist Ur-Seyn »), et ce qui, en Dieu, n’est pas Dieu. Heidegger commente ce point dans son cours de 1936 sur Schelling : « Dieu envisagé comme fondement (Grund) de son existence n’‘est’ pas encore à proprement parler Dieu tel qu’en lui-même : Ipse. Et cependant Dieu ‘est’ son fond. Certes le fond est quelque chose de distinct de Dieu, mais il n’est pas cependant ‘en dehors’ de Dieu » (M. Heidegger, Schelling : Vom Wesen der menschlichen Freiheit [1809], GA 42, p. 191 ; Schelling. Le traité de 1809 sur l’essence de la liberté humaine, trad. J.-F. Courtine , Paris, Gallimard [coll. Classiques de la philosophie], 1977, p. 191).

  62. 62.

    Comme l’écrit Heidegger en commentaire de la distinction schellingienne du fond (Grund) et de l’existence (Existenz) : « Le fond est en soi ce qui porte et ce qui reprend, en le rattachant à soi, ce qui pro-cède de lui. Et l’existence, en tant que pro-cession-hors-de-soi-même (Aussichherausgehen), est ce qui s’enfonce soi-même comme tel en son fond, et par là le fonde expressément comme son fond. Fond et existence appartiennent l’un à l’autre ; c’est cette coappartenance qui rend d’abord possible leur scission et ce discord (Zwietracht) destiné à se transformer en un accord plus élevé » (GA 42, p. 198 ; trad. p. 197–198). Comme on le sait, le fond schellingien est « désir » (Sehnsucht) à la fois pour la lumière de l’existence (et de ce qu’elle entraîne pour le devenir de Dieu : la création du monde), et en même temps pour soi-même (pour le repli et le retournement en soi-même, afin de demeurer le fond obscur). Comme l’écrit Heidegger, dans un passage qui explique très bien comment le combat ontologique (ou du moins l’opposition) entre visibilité et réserve passe à l’intérieur de l’esprit (de ce que Schelling nomme Dieu, et de ce que Heidegger nomme dans les Beiträge : Wahrheit des Seyns) : « Le fond veut (…) être toujours davantage fond, mais il ne peut le vouloir que s’il veut en même temps ce qui s’éclaire davantage, et s’il tend par conséquent à s’opposer à soi-même (gegen sich), pour autant qu’il est obscur, si donc il aboutit ainsi en cette tension au contraire de soi-même, et si par là même il donne naissance en lui à une scission (Scheidung). Plus la scission est profonde (plus elle tend à s’approfondir en direction du fond), – devenant du même coup plus lumineuse (tendant davantage à l’unification) –, et plus les termes qui se scindent – fond et existence – se séparent et divergent (auseinander) l’un de l’autre, tandis que l’unifiant ressort plus intimement du fond (…). [Au] cœur de ce devenir en lui-même ad-verse, règnent un perpétuel surmontement de soi et un effort incessant pour se dégager et s’élever à un niveau à chaque fois supérieur » (GA 42, p. 236–237 ; trad. p. 235–236).

  63. 63.

    Beit., p. 264.

  64. 64.

    Nous renvoyons ici à un texte de J.-F. Courtine sur Hölderlin  : « De la métaphore tragique », in Extase de la Raison. Essais sur Schelling , Paris, Galilée (coll. La philosophie en effet), 1990, p. 45–75.

  65. 65.

    M. Heidegger, Der Anfang der abendländischen Philosophie. Auslegung des Anaximander und Parmenides, GA 35, p. 31.

  66. 66.

    M. Heidegger, Nietzsche I (éd. Neske), p. 350 ; Nietzsche I, trad. P. Klossowski, Paris, Gallimard (coll. Bibliothèque de philosophie), 1971, p. 274.

  67. 67.

    Nietzsche I (éd. Neske), p. 562 ; trad. p. 437.

  68. 68.

    « Donc, avant tout, fut Abîme (Χάος) ; puis Terre (Γαῖα) aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants etc. » (Hésiode , Théogonie, trad. P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres [coll. Classiques en poche : bilingue], 2008, vers 116–126, p. 15).

  69. 69.

    Nietzsche I (éd. Neske), p. 566 ; trad. p. 439.

  70. 70.

    Nous renvoyons ici à P. Wotling , Nietzsche et le problème de la civilisation, Paris, Presses universitaires de France (coll. Questions), 1995 (Première partie, 3 : « Le corps comme fil conducteur », p. 83–108).

  71. 71.

    Nietzsche 1, trad. p. 442.

  72. 72.

    Ibid., trad. p. 443.

  73. 73.

    Ces concepts font partie comme on le sait du vocabulaire avec lequel Deleuze interprète la pensée de Nietzsche , notamment dans Nietzsche et la philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 1962 (chapitre II. – « Actif et réactif », p. 44–83).

  74. 74.

    Nous renvoyons ici aux analyses d’E. Cattin dans son ouvrage Sérénité, et plus particulièrement au chapitre 4 (« Nuit ») consacré à Schelling . Ainsi : « Ce que voit Schelling est par conséquent la nuit à laquelle appartient, comme à sa provenance, toute origine en tant qu’origine (…) (Qu’une telle tentative prenne alors l’une de ses plus décisives impulsions dans les Beiträge, contemporains du cours sur Schelling, n’aura rien de contingent). Nuit qui ne précède l’origine qu’au sens où elle l’accompagne, se lève avec elle en tant que Vorausgehendes ou Vorhergehendes Dunkel » (E. Cattin, Sérénité. Eckhart , Schelling, Heidegger, op. cit., p. 84–85).

  75. 75.

    Comme le note ainsi Heidegger au cours de son interprétation du fond chez Schelling  : « [Il] est nécessaire de penser plus distinctement l’essence de Dieu, à savoir Dieu dans la mesure où il n’est pas Lui-même, c’est-à-dire Dieu dans la mesure où il est fondement de soi-même, le Dieu qui est véritablement primordial, celui que se tient encore tout entier en son fond, le Dieu qui n’est pas encore sorti de lui-même pour s’avancer jusqu’à soi-même. Ce ‘ne-pas-encore’ qu’est le fond ne disparaît pas après que Dieu est parvenu à exister, et il n’est pas rejeté comme un pur et simple ‘ne-plus’ : le ‘pas-encore’ demeure, puisqu’il s’agit ici d’un devenir éternel ; l’éternel passé de lui-même demeure en Dieu, il fait fond en lui. Il faut entendre ici l’‘après-que’ et le ‘sitôt-que’ en un sens éternel. Toute l’audace de la pensée schellingienne se fait jour ici ; mais il ne s’agit pas là d’un vain jeu de pensée qui serait le fait d’un solitaire exalté, il s’agit tout simplement de la reprise et de l’accomplissement d’une démarche de pensée qui surgit tout d’abord avec Maître Eckhart et qui trouve chez Jacob Boehme un développement sans précédent. Mais quand on évoque cette filiation, c’est généralement pour s’emparer aussitôt de formules passe-partout, en parlant de ‘mystique’ ou de ‘théosophie’. Assurément on peut nommer les choses ainsi, mais avec cela, en regard de ce qui a réellement eu lieu et de la véritable création de pensée, on n’a encore rien dit (…) » (GA 42, p. 203–204 ; trad. p. 202–203). Sur le rapport de Heidegger à la mystique (en particulier Maître Eckhart et Angelus Silesius ), voir J. Caputo , The mystical element in Heidegger’s Thought, New York, Fordham University Press, 1990.

  76. 76.

    L’étonnement devient la disposition tonale de la pensée méditante, susceptible d’interroger pensivement à partir d’une écoute préalable, silencieuse et recueillie, de ce qui se donne à entendre comme la vérité de l’être. Ainsi, au début de la conférence « Ἀλήθεια» (1943), consacrée à Héraclite , Heidegger écrit : « [N]ous savons trop de choses, et nous croyons trop vite, pour pouvoir nous sentir à l’aise dans des interrogations qui procèdent d’une véritable expérience. Elles requièrent la capacité de s’étonner devant ce qui est simple (Einfachen) et d’accepter cet étonnement comme demeure fixe. Sans doute le Simple ne nous est-il pas encore donné par cela seul que nous répétions à notre tour, à la manière des gens simples, la signification littérale d’ἀλήθεια comme ‘non-occultation’ (Unverborgenheit) (…). C’est seulement quand on demande ce que tout cela veut dire et la façon dont cela peut se produire que l’étonnement commence (beginnt). Que faire pour arriver jusque-là ? Peut-être ceci : accepter un étonnement qui cherche du regard ce que nous nommons clarté et dévoilement ? L’étonnement qui pense parle en questions » (GA 7, p. 266–267 ; EC, p. 313–314).

  77. 77.

    En 1951, dans le texte intitulé « Λόγος », Heidegger écrit : « Ainsi les Grecs ont-ils sans doute l’expérience du dire. Mais ils ne pensent jamais, pas même Héraclite , l’être du langage spécialement comme le λόγος, comme la Pose recueillante (lesende Lege) » (GA 7, p. 233 ; EC, p. 277)

  78. 78.

    Comme nous l’avons discuté plusieurs fois au cours de ce travail, Heidegger dira en 1967, dans son séminaire conjoint avec Héraclite  : « Je fais cette proposition : le non-pensé est l’ἀλήθεια. Sur l’ἀλήθεια en tant que ἀλήθεια il n’y a rien dans toute la philosophie grecque » (GA 15, p. 261 ; HS, p. 221).

  79. 79.

    « À l’âge des besoins infinis en provenance de la détresse voilée de l’absence de toute détresse, la question [du sens] doit nécessairement paraître la plus stérile et la plus inutile, du genre de celles qui ont déjà été opportunément mises de côté » (Beit., p. 11).

  80. 80.

    Beit., p. 43.

  81. 81.

    Ibid., p. 93.

  82. 82.

    GA 9, p. 196 ; « De l’essence de la vérité », in Questions I et II, op. cit., p.186.

  83. 83.

    Beit., p. 96.

  84. 84.

    GA 5, p. 29 ; OA, p. 46.

  85. 85.

    « Les gardiens (Bewahrenden) appartiennent aussi essentiellement à l’être-créé de l’œuvre que les créateurs (Schaffenden). Car c’est l’œuvre qui rend possibles, en leur essence, les créateurs ; c’est l’œuvre qui, de par son essence, a besoin des gardiens. Si l’art est l’origine de l’œuvre, cela veut dire qu’il fait surgir en son essence ce qui, dans l’œuvre, s’appartient dans la réciprocité : la communauté des créateurs et des gardiens » (GA 5, p. 58–59 ; OA, p. 80).

  86. 86.

    GA 5, p. 35 ; OA, p. 52.

  87. 87.

    M. Heidegger, Hölderlins Hymnen « Germanien » und « Der Rhein », GA 39, p. 121–122 ; Les hymnes de Hölderlin  : La Germanie et Le Rhin, trad. F. Fédier et J. Hervier, Paris, Gallimard (coll. Bibliothèque de philosophie), 1988, p. 118–119.

  88. 88.

    M. Heidegger, « Discours de rectorat. L’université allemande envers et contre tout elle-même », in Écrits politiques. 1933–1966, trad. F. Fédier, Paris, Gallimard (coll. Bibliothèque de philosophie), 1995, p. 99. Cf. C. Sommer (éd.), Autour de Heidegger : Discours de rectorat (1933) – Contextes, problèmes et débats, in Les études philosophiques, 2010 (93-2). Sur l’importance de la décision (Entscheidung) comme point de basculement pour la vérité de l’être ou contre elle, voir en particulier Beit., I. Vorblick, § 43–50. Le concept de décision rappelle également le décisionnisme existentiel de la résolution devançante dans Sein und Zeit. Ainsi : « La résolution, selon son essence ontologique, est à chaque fois celle d’un Dasein factice. L’essence de cet étant est son existence. La résolution n’‘existe’ que comme décision qui comprend et se projette » (SZ, p. 298). Sur la question de savoir si le « pathos de la décision » est annonciateur, chez des penseurs comme Heidegger ou bien évidemment Carl Schmitt , de l’adhésion politique au nazisme, nous renvoyons à J.-C. Monod , « Creatio ex nihilo, nihilisme et décision : sur une complication théologico-politique chez Heidegger et Carl Schmitt », in M. Crépon et M. de Launay (éd.), Les configurations du nihilisme, Paris, Vrin (coll. Problèmes et controverses), 2012, p. 103–123.

  89. 89.

    M. Heidegger, Überlegungen XII-XV (Schwarze Hefte 1939–1941), GA 96, p. 46. Ce texte est cité par P. Trawny , dans Heidegger et l’antisémitisme. Sur les « Cahiers noirs », trad. J. Christ et J.-C. Monod , Paris, éditions du Seuil, 2014, p. 51–52.

  90. 90.

    Sur l’assimilation de l’américanisme au bolchévisme, voir par exemple le cours de 1942 sur l’hymne de Hölderlin « Der Ister » : « La priorité de la quantité est elle-même une qualité essentielle en son genre, à savoir l’absence de toute mesure. Là est le principe de ce que nous appelons l’américanisme. Le bolchévisme n’est qu’un mode dérivé de l’américanisme » (GA 53, p. 86). Voir aussi Einführung in die Metaphysik, où Heidegger n’oppose pas cette fois l’Allemagne, mais plus généralement l’Europe, à l’américanisme et au bolchévisme : « Cette Europe qui, dans un incurable aveuglement, se trouve toujours sur le point de se poignarder elle-même, est prise aujourd’hui dans un étau entre la Russie d’une part et l’Amérique de l’autre. La Russie et l’Amérique sont toutes deux, au point de vue métaphysique, la même chose ; la même frénésie sinistre de la technique déchaînée, et de l’organisation sans racines de l’homme normalisé » (GA 40, p. 40–41 ; IM, p. 48–49).

  91. 91.

    Pour une mise au point sur la différence entre l’usage heideggérien du concept de Volk et sa signification raciale et biologique dans la pensée nazie, voir R. Bernasconi , « Race and Earth in Heidegger’s Thinking during the late 1930s », in The Southern Journal of Philosophy, 2010 (48-1), p. 49–66. Cf. également J. Caputo , Demythologizing Heidegger, Bloomington/ Indianapolis, Indiana University Press Press (coll. The Indiana series in the philosophy of religion), 1993 : « Volk signifie quelque chose de spirituel, de linguistique, et quelque chose de ‘métaphysique’ (dans la langue de 1935) ; le terme ne doit en aucun cas être réduit grossièrement à quelque chose de physique et de biologique » (p. 108, nous traduisons).

  92. 92.

    Beit., p. 127.

  93. 93.

    Cette notion, centrale dans les Beiträge (Heidegger l’aborde de manière couplée avec la Machenschaft), avait déjà fait l’objet d’un long développement dans le cours du Kriegsnotsemester de 1919. Cf. M. Heidegger, Zur Bestimmung der Philosophie, GA 56/57, et en particulier la partie intitulée Die Idee der Philosophie und das Weltanschauungsproblem. Voir notamment le paragraphe 1c) de l’introduction (« Le paradoxe concernant le problème de la vision du monde. L’incompatibilité entre philosophie et vision du monde », p. 11–13).

  94. 94.

    Citons à ce sujet les premiers mots de la conférence de Heidegger de 1936, prononcée à Rome sous le titre « L’Europe et la philosophie allemande » : « Disons ici, en cet instant, quelques mots de la philosophie allemande et, du même coup, de la philosophie en général. Notre existence historiale éprouve de manière toujours plus pressante et plus claire qu’il n’y a pour elle d’autre futur que le pur et simple ‘ou bien ou bien’ par lequel l’Europe sera sauvée ou détruite. Mais, pour pouvoir sauver l’Europe, deux choses sont requises : 1) sauvegarder les peuples européens face à l’Asiatique ; 2) surmonter l’état de déracinement et de désagrégation dans lequel ils se trouvent » (M. Heidegger, « L’Europe et la philosophie allemande », trad. G. Fagniez , in Philosophie, 2012 [116], p. 13). Nous renvoyons également à l’introduction par G. Fagniez de cette conférence, avec l’excellente mise au point qu’elle contient sur la place et la signification de l’asiatique chez Heidegger. Sur le contexte politique et philosophique dans lequel Heidegger prononça la conférence de Rome, on se reportera au récit qu’en fait K. Löwith dans Ma vie en Allemagne avant et après 1933, trad. M. Lebedel, Paris, Hachette (coll. La force des idées), 1986, p. 76–79.

  95. 95.

    Nous renvoyons sur cette question à l’ouvrage de M. Zarader , La dette impensée. Heidegger et l’héritage hébraïque, Paris, Vrin (coll. Problèmes et controverses), 2013. Ainsi : « Lorsqu’il pose la question de notre provenance, Heidegger répond : nous sommes les héritiers des Grecs. Par où il faut entendre que l’injonction déposée dans les paroles fondamentales des premiers Grecs constitue le coup d’envoi de notre histoire et, à ce titre, détermine encore le lieu où nous nous tenons. Or, le renvoi de l’ensemble de notre séjour au seul commencement grec implique que la composante biblique (spécialement vétéro-testamentaire, donc hébraïque), de l’histoire occidentale soit tenue pour non significative, c’est-à-dire n’ait pas statut de commencement. Et, de fait, Heidegger ne s’y réfère quasiment jamais, témoignant ainsi du caractère négligeable de ce qui avait été tenu jusqu’alors pour l’une des sources de notre identité (…). On croit fréquemment que c’est parce que Heidegger a su mesurer, comme nul autre ne l’avait fait avant lui, le prodigieux impact exercé sur la pensée par le commencement grec, qu’il est conduit à tenir pour négligeable l’apport hébraïque. Mais en réalité (…) [s]i l’apport hébraïque est aussi massivement exclu, ce n’est pas parce qu’il ne lui resterait plus de ‘place’ où s’inscrire, mais c’est parce qu’il a été, dès le principe, interdit de pensée » (p. 23).

  96. 96.

    C’est ce que Heidegger établit en rappelant l’idée célèbre, développée dans la « Lettre sur l’humanisme », selon laquelle la langue est « la maison de l’être » : « Il y a quelque temps, j’ai nommé (bien malhabilement) la langue : ‘la maison de l’être’. Si l’homme, par la parole de sa langue, habite dans la requête que l’être lui adresse, alors nous autres Européens, nous habitons, il faut le présumer, une tout autre maison que l’homme d’Extrême-Orient » (M. Heidegger, « Aus einem Gespräch von der Sprache. Zwischen einem Japaner und einem Fragenden », in Unterwegs zur Sprache, GA 12, p. 85 ; « D’un entretien de la parole. Entre un Japonais et un qui demande », in Acheminements vers la parole, op. cit., p. 90). On remarquera au passage qu’ici Heidegger ne parle plus de l’expérience de la pensée allemande, mais bien de l’horizon de sens européen. D’où en tout cas le péril que Heidegger cherche à définir dans ce texte, et sur lequel il s’étend longuement : s’il est hors de doute que toute langue humaine, irréductible à un simple système de signes aux fins de la communication, doit se comprendre à partir de son essence métaphysique « disante » (au sens de la « Sage ») comme ouverture compréhensive à la vérité de l’être, en revanche la question reste posée quant à savoir si chaque langue déploie ses concepts fondamentaux d’une manière différente et incommensurable à celle que l’on trouve dans une autre langue. Autrement dit : le péril concerne la traductibilité d’une langue dans une autre eu égard à l’expérience de l’être qu’elle rend possible (il s’agit du problème de l’herméneutique, sur lequel le texte s’attarde donc tout à fait logiquement). Dans ce cas, il faudrait conclure qu’un « entretien de maison à maison [de l’être] demeure presque impossible » (ibid.). Cependant, le « presque » (beinahe) contient ici une nuance décisive : il y a bien une source de jaillissement ontologique une et commune à toutes les langues, même si chacune, dans son déploiement, tend à se l’approprier sous une guise interprétative qui implique nécessairement de la voiler à sa manière propre. Ainsi : « [Heidegger] : L’horizon et la perspective (Ausblick), pour la pensée qui s’efforce de répondre et correspondre au déploiement propre de la parole, cet horizon demeure, quant à son entière ampleur, encore voilé. C’est pourquoi je ne vois encore pas si ce que je cherche à penser comme déploiement de la parole (als Wesen der Sprache) arrive aussi à suffire pour le déploiement de la parole extrême-orientale, ni même si, à la fin – ce qui serait du même coup le commencement –, un déploiement de la parole peut parvenir à l’expérience de la pensée, tel qu’il garantirait l’entrée en mutuel dialogue du dire (Sagen) européen, c’est-à-dire occidental, et du dire de l’Extrême-Orient – et cela d’une manière telle qu’en elle chantât cela qui jaillit d’une source unique. [Japonais] : Cette source, alors, restant encore cachée aux deux mondes de parole. [Heidegger] : C’est cela » (GA 12, p. 89 ; trad., p. 93).

  97. 97.

    Sur l’inscription de la conception heideggérienne de l’histoire dans le contexte intellectuel d’une époque marquée par l’entrée en scène des philosophies de l’histoire (XIXe siècle et début du XXe siècle) en Allemagne, voir J. A. Barash , Heidegger et le sens de l’histoire, trad. S. Taussig, Paris, Galaade, 2006.

  98. 98.

    « Les peuples naturels vivent dans un monde très différent du nôtre et dans lequel il nous est difficile de voir clair ontologiquement (…). C’est un monde où l’homme rencontre des esprits, des démons et d’autres êtres mystérieux, mais le mystère de la manifesteté comme telle ne transparaît pas, ne peut pas s’éclaircir pour lui. Le projet fondamental des possibilités d’un tel être-au-monde naturel, c’est d’exister en ce sens non problématique. Ce trait de la vie naturelle a toujours été frappant : ceux qui y vivent acceptent, là où nous demeurons incertains, ils semblent connaître les réponses avant même que les questions ne soient posées. Comme s’il allait de soi que la vie soit quelque chose de compréhensible et qui vaille d’être vécu. Sur ce point, la vie des peuples naturels ressemble à celle des animaux qui vivent de façon évidente simplement pour vivre » (EH, p. 37). Patočka apporte certes immédiatement une précision qui nuance le propos : « Elle s’en distingue, bien sûr, dans la mesure où elle est sous-tendue par la possibilité cachée de la problématicité qui peut éclater à tout instant, mais que ces peuples ne réalisent pas, qu’ils n’ont pas l’intention de réaliser » (ibid., p. 37–38).

  99. 99.

    Nous renvoyons par exemple à C. Lévi-Strauss , Race et Histoire, Race et Culture (1952, 1971), Paris, Albin Michel (coll. Bibliothèque Albin Michel. Idées), 2001.

  100. 100.

    On pense ici à la conception kantienne dans L’idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique.

  101. 101.

    « Der Spruch des Anaximander », in GA 5, p. 336 ; Chemins…, p. 405.

  102. 102.

    Nous renvoyons sur ce point au livre récent de P. Trawny , Heidegger et l’antisémitisme. Sur les « Cahiers noirs », op. cit.

  103. 103.

    M. Heidegger, Sein und Wahrheit. 2. Vom Wesen der Wahrheit, GA 36/37, p. 89.

  104. 104.

    L. Strauss , Nihilisme et politique, trad. O. Sedeyn, Paris, Payot/Rivages (coll. Rivages poche. Petite bibliothèque), 2001, p. 31 sq.

  105. 105.

    Comme le dit alors Strauss  : « Le nihilisme allemand désire la destruction de la civilisation moderne dans la mesure où la civilisation moderne a une signification morale. Comme chacun le sait, le nihilisme allemand n’est pas particulièrement opposé aux moyens techniques modernes. La signification morale de la civilisation moderne, à laquelle s’opposent les nihilistes allemands, s’exprime dans des affirmations comme les suivantes : soulager la condition de l’homme ; protéger les droits de l’homme ; le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre possible » (L. Strauss, op. cit., p. 34).

  106. 106.

    Les germes de cette conception se trouvent déjà dans Sein und Zeit. Comme on le sait, au paragraphe 74 (« La constitution fondamentale de l’historialité »), Heidegger revient sur le Mitsein, « l’être-avec » qui constituait aux paragraphes 25–27 l’existential de la socialité, par quoi le Dasein n’est jamais seul, mais voit au contraire son ouverture au monde toujours déjà co-déterminée par l’être-avec-autrui. Or Heidegger, à la fin de l’ouvrage de 1927, dans ce paragraphe 74, donne une coloration communautaire très marquée à l’être-avec, parlant déjà de destin commun d’un peuple, combattif face à la mort pour asseoir et assumer son devenir historique. Ces analyses anticipent clairement sur la position philosophique du Heidegger des années 30. Ainsi : « Lorsque le Dasein, en devançant, laisse la mort prendre pouvoir sur soi, il se comprend, libre pour elle, dans la sur-puissance (Übermacht) propre de sa liberté finie, afin d’assumer en celle-ci, qui n’‘est’ jamais que dans l’avoir-choisi du choix, l’im-puissance (Ohnmacht) de son abandon à lui-même, et de devenir clairvoyant pour les contingences de la situation ouverte. Mais si le Dasein destinal (schicksalhafte) comme être-au-monde existe essentiellement dans l’être-avec avec autrui, son provenir (Geschehen) est un co-provenir, il est déterminé comme co-destin (Geschick), terme par lequel nous désignons le provenir de la communauté (Gemeinschaft), du peuple (Volk) (…). C’est dans la communication qui partage et dans le combat (Kampf) que se libère la puissance du co-destin. Le co-destin destinal du Dasein dans et avec sa ‘génération’ (Generation) constitue le provenir plein, authentique du Dasein » (SZ, § 74, p. 384). Nous renvoyons au commentaire de P. Ricœur , dans Temps et récit III. Le temps raconté, Paris, éditions du Seuil (coll. L’ordre philosophique), 1985, p. 112–113.

  107. 107.

    « Il ne faut pas s’imaginer (…) que les Grecs se proposaient de faire la civilisation pour les prochains millénaires de l’Occident. Mais, parce que, dans la nécessité unique où se trouvait leur Dasein, ils usèrent uniquement de violence, et ainsi n’éludèrent pas la nécessité, mais ne firent que l’accroître, ils se procurèrent à eux-mêmes par force la condition fondamentale d’une vraie grandeur historique » (GA 40, p. 172–173 ; IM, p. 169–170).

  108. 108.

    Hölderlins Hymne « Der Ister », GA 53, p. 60–61 (nous soulignons). Le titre du paragraphe est : « Le devenir-hospitalier en tant que souci de la poésie de Hölderlin  – l’explication entre l’étranger et le propre en tant que vérité fondamentale de l’histoire – Hölderlin et son dialogue avec Pindar et Sophocle ) ». Sur cette question, nous renvoyons à deux ouvrages : B. Allemann , Hölderlin et Heidegger, trad. F. Fédier, Presses universitaires de France (coll. Épiméthée), 1987 ; P. Trawny , Heidegger und Hölderlin oder der Europäische Morgen, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2010.

  109. 109.

    Beit., p. 7. Voir aussi les Cahiers noirs: « Est-ce maintenant la seule décision : la destruction totale et le chaos ou bien la coercition d’une contrainte complète ? » (« Ist dieses jetzt die einzige Entscheidung : völlige Zerstörung und Unordnung oder Verzwingung eines vollständigen Zwangs ? ») (GA 95, p. 70).

  110. 110.

    GA 36/37, p. 91.

  111. 111.

    Ibid., p. 90.

  112. 112.

    C’est là une reprise du fragment 124 (éd. Diels /Kranz ) d’Héraclite  : « Le monde très beau est semblable à un tas de fumier répandu en désordre ». Cf. IM, p. 141.

  113. 113.

    GA 40, p. 172 ; IM, p. 169 (trad. modifiée).

  114. 114.

    GA 40, p. 66 ; IM, p. 72 (trad. modifiée). Dans L’origine de l’œuvre d’art, Heidegger met de même l’accent sur l’œuvre unifiante qu’accomplit l’œuvre d’art, à partir d’une analyse du trait (Riss), qui relie à travers lui le monde et la terre dans leur combat mutuel, sur fond d’appartenance réciproque et d’intimité : « Le combat n’ouvre pas d’un trait une simple entaille entre les adverses. Il est l’intimité (Innigkeit) d’une appartenance réciproque (Sichzugehörens) pour ceux qui s’affrontent en lui. Un tel trait attire les adverses (Gegenwendigen) – à partir de son fond uni (einigen Grunde) – jusqu’à l’origine de leur unité où il les compose. Il est le plan fondamental. Il est le profil essentiel qui dessine à grands traits l’éclaircie de l’étant. Un tel trait ne disloque pas les adverses, mais amène l’adversité de mesure et de limite à l’unité d’un seul contour » (GA 5, p. 51 ; OA, p. 70–71).

  115. 115.

    Héraclite , Fragments : citations et témoignages, op. cit., p. 114.

  116. 116.

    Hölderlins Hymnen « Germanien » und « Der Rhein », GA 39, p. 124–125 ; trad. p. 121. Cf. aussi la fin d’Hypérion : « Les dissonances du monde sont comme les querelles des amants. La réconciliation habite la dispute, et tout ce qui a été séparé se rassemble. Les artères qui partent du cœur y reviennent : tout n’est qu’une seule vie, brûlante, éternelle » (F. Hölderlin , Hypérion, in Œuvres, trad. P. Jaccottet, Paris, Gallimard [coll. Bibliothèque de la Pléiade], 1967, p. 273).

  117. 117.

    « L’événement (Ereignis) en tant que le refus hésitant (zögernde Versagung) et par là l’arrivée à maturité du ‘temps’, la puissance du fruit, et la grandeur de l’offrande, mais dans la vérité en tant qu’éclaircie pour le cèlement de soi » (Beit., p. 268).

  118. 118.

    « Protokoll zu einem Seminar über den Vortrag ‘Zeit und Sein’, in Zur Sache des Denkens, p. 44–45 ; « Protocole à un séminaire sur la conférence ‘Temps et être’ », in Questions IV, op. cit., p. 249.

  119. 119.

    Pour rappel, la conférence Temps et être identifie l’Ereignis à la source donnante du « il y a » (« es gibt »). Or il y a deux donations : le « es gibt Sein », dont le mouvement donateur prend le sens d’un « destiner » (schicken) ; et le « Es gibt Zeit », dont le mouvement est qualifié par Heidegger comme « extension » (Reichen), traduction temporelle de ce destiner, et qui ouvre les schèmes extatiques de la temporalité.

  120. 120.

    « Dans la mesure maintenant où le mouvement de destiner (Schicken) de l’être repose dans l’extension (Reichen) du temps, et où celle-ci repose avec celui-là dans l’événement (Ereignis), s’annonce dans l’advenir appropriant (Ereignen) cette propriété singulière que l’événement (Ereignis) soustrait (entzieht) au dévoilement (Entbergung) sans limite (schrankenlosen) ce qu’il a de plus propre (sein Eigenstes). Pensé à partir de l’advenir appropriant (Ereignen), cela veut dire : il se déproprie (enteignet), au sens qu’on a dit, de soi-même. À l’événement (Ereignis) comme tel appartient le dépropriement (Enteignis). Par ce dernier, l’Ereignis ne se délaisse ni ne s’abandonne lui-même, mais au contraire sauvegarde ce qui lui est propre » (« Zeit und Sein », op. cit., p. 23 ; TE, p. 223, trad. modifiée).

  121. 121.

    Cf. supra., p. 248.

  122. 122.

    GA 15, p. 395 ; « Séminaire de Zähringen » (1973), Questions IV, op. cit., p. 483.

  123. 123.

    GA 15, p. 397 ; Questions IV, p. 485.

  124. 124.

    GA 15, p. 398 ; Questions IV, p. 486 (trad. modifiée).

  125. 125.

    Il y a donc bien une visibilité non phénoménologique, visibilité pensante (intellectuelle).

  126. 126.

    GA 15, p. 399 ; Questions IV, p. 487.

  127. 127.

    Par exemple, dans le texte « Ἀλήθεια » de 1943, qui clôt les Essais et conférences, Heidegger à la faveur d’une interprétation toute pacifiée d’Héraclite , place les concepts d’Innigkeit et d’Einigkeit en relation directe avec le Ἕν. Le contexte est celui de l’analyse du fragment 123 (« φύσις κρύπτεσθαι φιλεῖ », que Heidegger traduit ici par : « L’émerger (hors du se-cacher) accorde sa faveur au se-cacher » [GA 7, p. 279 ; EC, p. 328]), et de son rapport avec le fragment 16 (« Comment quelqu’un peut-il se cacher devant ce qui ne sombre jamais [τὸ μὴ δῦνόν ποτε] ? »). Heidegger écrit alors : « Les deux appellations nomment le domaine que fonde et régit l’intimité (Innigkeit) mouvante du dévoilement et du voilement. Devant cette intimité s’abrite l’union et l’un-ité (Einigkeit und Ein-heit) de l’Ἕν, de cet Un que les anciens penseurs, vraisemblablement, avaient contemplé dans une richesse de sa simplicité (Einfachen) qui demeure fermée à leurs successeurs » (GA 7, p. 279 ; EC, p. 328–329). Quelques lignes plus loin, Heidegger a recours à l’Ereignis pour donner sens à cette pensée présocratique de l’unité profonde qui régit l’entrée en présence, par-delà toute dualité (le point pose d’ailleurs problème, quand on sait qu’aux yeux de Heidegger les Grecs ne surent justement pas pénétrer le domaine caché de l’Ereignis) : « [P]our la pensée des premiers temps, τὸ μὴ δῦνόν ποτε nomme le domaine (Bereich) de tous les domaines. Il n’est pas toutefois le genre suprême auquel se subordonneraient différentes sortes de domaines. Il est ce en quoi, au sens d’une résidence, repose tout ‘en quel endroit ?’ possible d’un ‘avoir-sa-place’. En conséquence, le domaine au sens du me dunon pote est unique (einzig), si on le considère à partir de son étendue rassemblante (Versammelnden). En lui croît ensemble (concrescit) tout ce qui appartient à l’événement appropriant (Ereignis) du dévoilement bien perçu. Il est le concret pur et simple » (GA 7, p. 280 ; EC, p. 329–330, trad. légèrement modifiée). Plus loin dans le texte, le mot « πόλεμος » sera certes nommé deux fois, mais l’analyse ne s’étend pas sur la conflictualité ontologique à laquelle il donne lieu. Bien plutôt : le πόλεμος est pensé désormais comme une explication (Auseinandersetzung) ayant lieu sur le fondement de l’unité de l’éclaircie (cf. EC, p. 335).

  128. 128.

    Nous renvoyons ici à J. Derrida , De l’esprit. Heidegger et la question, Paris, Galilée (coll. La philosophie en effet), 1987.

  129. 129.

    Nous renvoyons ici aux analyses de J. Vioulac , qui commente la manière dont le caractère effrayant de l’homme dans la pensée tragique grecque est intimement lié à son aptitude ontologique à être « frayant », c’est-à-dire à ouvrir un monde par les œuvres. D’où alors le lien étroit entre δεινόν et τέχνη. Cf. J. Vioulac, L’époque de la technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique, Paris, Presses universitaires de France (coll. Épiméthée), 2009 (II. – « Technique et histoire », p. 59–113).

  130. 130.

    On considérera ainsi le texte de Patočka écrit en 1939 et intitulé « Équilibre et amplitude dans la vie », qui donne clairement à penser que le propre de l’existence humaine est d’être prise dans un étau, entre l’expérience de son infirmité corporelle et la pleine conscience qu’elle est susceptible d’avoir de celle-ci : « Les limites à l’intérieur desquelles l’homme est enserré, sont de deux espèces. D’un côté, il y a la faiblesse corporelle et les bornes imposées à la volonté humaine, limites qui se manifestent dans les phénomènes de la douleur physique, de la misère, de la maladie, de l’oppression, de la culpabilité et de la mort dont le péril, toujours possible et toujours présent dans sa possibilité, n’est pas, pour l’homme, contingent. Sans ces possibilités, l’homme ne serait pas ce qu’il est dans son essence. La faculté de souffrir est positive. Il est vrai qu’on la trouve aussi chez l’animal, mais l’homme souffre davantage et plus profondément – d’autant plus que sa conscience est plus élevée. Ce degré supérieur de conscience est l’autre limite, notre limite interne, ancrée en nous plus profondément que nous-mêmes : le dépassement de l’instant, l’horizon universel qui vit en nous et nous donne à rencontrer les réalités auxquelles nous avons affaire, mais qui ne nous remplissent jamais entièrement » (J. Patočka, « Équilibre et amplitude dans la vie », in Liberté et sacrifice. Écrits politiques, trad. E. Abrams , Grenoble, J. Millon [coll. Krisis], 1990, p. 35). On note que Patočka, dans cet extrait, n’introduit pas une différence de nature entre le mode d’être de l’homme et celui des autres types d’étants, mais simplement une différence de « degré », « d’élévation », de « profondeur » dans le rapport à la souffrance, dont le contenu est lié à la douleur physique.

  131. 131.

    Il est logique à cet égard que l’analyse patočkienne du premier mouvement de l’existence humaine (mouvement d’enracinement) prenne comme point d’appui la situation de néoténie caractérisant le nouveau-né humain : « Nous nous laissons accepter en nous montrant dans notre dépendance et en nous attachant aux autres. La dépendance est la situation de ce qui est séparé, de ce qui est pour soi. L’être doté d’une existence autonome est surtout dépendant là où tout le contact avec l’extérieur qu’exige la satisfaction de ses besoins doit être médiatisé par d’autres êtres qui lui procurent les choses de l’environnement qu’il lui faut pour se compléter. L’être accepté est initialement un être médiatisé, le monde se limite pour lui à ses parents, à ceux qui prennent soin de lui (…). Cette fusion active est un plaisir, un bonheur dans lequel l’acceptation exerce un magnétisme égal à celui qui imprègne l’irradiation de l’état de nécessité. (…) Que le bonheur débouche dans le sommeil, atteigne dans le sommeil sa plénitude la plus entière, cela ne trouble en rien mais, au contraire, accentuerait plutôt son caractère extatique » (MNMEH, p. 108).

  132. 132.

    « [L’être autonome] n’en demeure pas moins en situation de nécessité précisément dans l’autonomie qui renforce sa séparation, son individuation. Dans cette mise à part, dans cette gravitation autour et au-dedans de soi qui pourrait de prime abord signifier que nous sommes, dans notre autonomie, un monde fermé, que nous sommes tout pour nous-mêmes, nous ressentons néanmoins un état d’inassouvissement et de besoin – le besoin de nous laisser accepter et soutenir, non dans nos fonctions, dans les besoins momentanés de l’existence, mais dans l’ensemble de notre être (…). L’étant individué ne cesse pas de ressentir son incomplétude, il ne cesse pas de comprendre sa finitude, son être, comme un manque. C’est d’autant plus sensible que l’homme est davantage un être ‘du’ monde (…) » (ibid., p. 112).

  133. 133.

    Cf. supra., note 162, p. 158.

  134. 134.

    « L’affrontement de la finitude n’a pas dans cette nouvelle attitude le sens d’un enchaînement, rapportant tout ce que nous rencontrons à notre personne acceptée et affirmée une fois pour toutes. L’affrontement [avec la finitude de l’être éprouvée dans les deux premiers mouvements] a désormais la signification du dévouement. Mon étant n’est plus défini comme un être pour moi, mais comme un étant dans le dévouement, un étant qui s’ouvre à l’être, qui vit pour que les choses soient, pour que les choses – et aussi moi-même et les autres – se montrent en ce qu’elles sont » (MNMEH, p. 122, nous soulignons afin de faire ressortir deux points importants : 1) on se dévoue pour les autres mais aussi pour soi-même, pour la dimension de soi-même qui demande réconfort et protection – nous allons revenir sur ce point dans un instant ; 2) le troisième mouvement a bien une structure réflexive dans la mesure où il se fait le miroir de la vérité de l’être donnée dans l’expérience incarnée au sein des deux premiers mouvements – et principalement du premier).

  135. 135.

    À la différence de la forme naïve du sacrifice (sacrifice politique pour une cause, ou sacrifice religieux sur fond de hiérarchie entre le divin et le profane), Patočka voit dans le « sacrifice radical » la plus haute forme de la protestation prenant en vue la finitude de tout étant, y compris la sienne propre : « La reprise du sacrifice présuppose davantage que l’immolation volontaire que représente le sacrifice ‘naïf’. (…) L’attitude naïve ne suffit (…) pas, et ce qui se porte au premier plan n’est plus le pour-quoi concret du sacrifice. L’action est, au contraire, à comprendre dans la seule perspective de la protestation, comme un ‘non’ qui ne s’adresse pas à des états de fait singuliers et concrets, mais – au fond – au mode de compréhension qui les sous-tend. Vu dans cette optique, le sacrifice repris en est un dont l’enjeu n’est rien d’affirmatif, rien qui ait un contenu positif. Comme tout sacrifice radical, il fait prendre en vue la finitude propre (…). La finitude n’est pas esquivée, mais ceux qui l’affrontent en se sacrifiant ainsi ne se donnent pas en spectacle (…). Le sacrifice prend le sens d’une explicitation du rapport authentique de l’essence de l’homme à ce qui fonde sa compréhension, à ce qui le rend humain et qui, étant radicalement fini, n’est ni cause ni force, n’est pas le fondement de raison d’un étant » (J. Patočka, Liberté et sacrifice, op. cit., p. 274–275).

  136. 136.

    Ainsi, dans le dernier chapitre des Essais hérétiques sur « Les guerres duXXe siècle et le XXe siècle en tant que guerre », Patočka se livre, à la faveur d’une méditation sur l’expérience de la guerre totale chez Jünger et Teilhard de Chardin, à une analyse de la « solidarité des ébranlés» qui, à travers la question politique de la guerre, débouche sur une considération d’ordre métaphysique : « Le moyen de dépasser cet état [de guerre totale), c’est la solidarité des ébranlés. La solidarité de ceux qui sont à même de comprendre ce dont il y va dans la vie et la mort et, par conséquent, dans l’histoire. De comprendre que l’histoire est ce conflit de la vie nue, enchaînée par la peur, avec la vie au sommet, qui ne planifie pas le quotidien à venir, mais voit clairement que le jour ordinaire, sa vie et sa ‘paix’ auront une fin. Seul celui qui est à même de comprendre cela, celui qui est capable d’un revirement (μετάνοια), est un homme spirituel » (EH, p. 212).

  137. 137.

    Nietzsche I (éd. Neske), p. 281 ; trad. p. 222.

  138. 138.

    Nietzsche I (éd. Neske), p. 317 ; trad. p. 249.

  139. 139.

    Nietzsche I (éd. Neske), p. 323 ; trad. p. 254.

  140. 140.

    E. Levinas , Le temps et l’autre, op. cit., p. 29.

  141. 141.

    E. Levinas , Le temps et l’autre, op. cit., p. 57.

  142. 142.

    « L’ontologie heideggérienne qui subordonne le rapport avec autrui à la relation avec l’être en général (…) demeure dans l’obédience de l’anonyme et mène, fatalement, à une autre puissance, à la domination impérialiste, à la tyrannie » (E. Levinas , Totalité et infini, essai sur l’extériorité, op. cit., p. 38).

  143. 143.

    E. Levinas , Le temps et l’autre, op. cit., p. 28.

  144. 144.

    Celle-ci consiste en une inversion dans l’être par laquelle un existant apparaît, portant l’être comme son attribut intime (cf. Le temps et l’autre, op. cit., p. 31–35).

  145. 145.

    Hölderlins Hymnen « Germanien » und « Der Rhein », GA 39, p. 127 ; trad. p. 123 (nous soulignons). Cf. le cours de 1935 Introduction à la métaphysique : « C’est précisément parce que l’être est λόγος, ἁρμονία, ἀλήθεια, φύσις, φαίνεσθαι, qu’il ne se montre pas à volonté. Le vrai n’est pas pour tout le monde, mais seulement pour les forts (die Starken) » (GA 40, p. 142 ; IM, p. 141).

  146. 146.

    E. Levinas , Le temps et l’autre, op. cit., p. 29.

  147. 147.

    « La mort chez Heidegger n’est pas, comme le dit M. Wahl , ‘l’impossibilité de la possibilité’, mais ‘la possibilité de l’impossibilité’. Cette distinction, d’apparence byzantine, a une importance fondamentale » (E. Levinas , Le temps et l’autre, op. cit., note 5, p. 92).

  148. 148.

    « L’être pour la mort, dans l’existence authentique de Heidegger, est une lucidité suprême et, par là, une virilité suprême. C’est l’assomption de la dernière possibilité de l’existence pour le Dasein, qui rend précisément possibles toutes les autres possibilités, qui rend par conséquent possible le fait même de saisir une possibilité, c’est-à-dire l’activité et la liberté. La mort est, chez Heidegger, événement de liberté, alors que, dans la souffrance, le sujet nous semble arriver à la limite du possible. Il se trouve enchaîné, débordé et en quelque manière passif. La mort est dans ce sens la limite de l’idéalisme. Je me demande même comment le trait principal de notre relation avec la mort a pu échapper à l’attention des philosophes. Ce n’est pas du néant de la mort dont précisément nous ne savons rien que l’analyse doit partir, mais d’une situation où quelque chose d’absolument inconnaissable apparaît ; absolument inconnaissable, c’est-à-dire étranger à toute lumière, rendant impossible toute assomption de possibilité, mais où nous-mêmes sommes saisis » (E. Levinas , Le temps et l’autre, op. cit., p. 57–58). Ou encore : « Ce qui est important à l’approche de la mort, c’est qu’à un certain moment nous ne pouvons plus pouvoir ; c’est en cela justement que le sujet perd sa maîtrise même de sujet. (…) La mort, c’est l’impossibilité d’avoir un projet » (E. Levinas, Le temps et l’autre, op. cit., p. 62–63).

  149. 149.

    E. Levinas , Le temps et l’autre, op. cit., p. 59–60.

  150. 150.

    F. Nietzsche , Götzen-Dämmerung, in Nietzsche Werke. Kritische Gesamtausgabe (Bd. VI/3), éd. G. Colli et M. Montinari, Berlin, W. de Gruyter, 1969, p. 154 ; Crépuscule des idoles, op. cit., trad. J.-C. Hémery, Paris, p. 101.

  151. 151.

    Götzen-Dämmerung, op. cit., p. 153 ; trad. p. 101.

  152. 152.

    « [C]e qui se révèle ici dans le tressaillement de l’ivresse, c’est, en vue de la suprême volupté et de l’apaisement de l’Un originaire, la puissance artiste de la nature tout entière (die Kunstgewalt der ganzen Natur) » (F. Nietzsche , Die Geburt der Tragödie, in Nietzsche Werke. Kritische Gesamtausgabe [Bd. III. 1], éd. G. Colli et M. Montinari, Berlin, W. de Gruyter, 1972, p. 26 ; La naissance de la tragédie, trad. M. Haar , P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, Paris, Gallimard, 1977, p. 31)

  153. 153.

    F. Nietzsche , GA III. 1, p. 28 ; trad. p. 33.

  154. 154.

    F. Nietzsche , GA III. 1, p. 31 ; trad. p. 36.

  155. 155.

    « La démesure (Übermass) se dévoilait comme la vérité ; la contradiction, la volupté née de la douleur s’exprimaient d’elles-mêmes du plus profond de la nature. Et cela de telle façon que partout où pénétrait le dionysiaque, l’apollinien était aboli et détruit, encore qu’il n’en soit pas moins sûr, cependant, que partout où le premier assaut était repoussé, le prestige et la majesté du dieu delphique se montraient plus rigides et menaçants que jamais » (F. Nietzsche , GA III. 1, p. 37 ; trad. p. 41).

  156. 156.

    F. Nietzsche , GA III. 1, p. 31–32 ; trad. p. 36–37.

  157. 157.

    Heidegger, Nietzsche I (éd. Neske), p. 280 ; trad. p. 222.

  158. 158.

    F. Nietzsche , GA III. 1, p. 40 ; trad. p. 44.

  159. 159.

    F. Nietzsche , GA III. 1, p. 52 ; trad. p. 55.

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Spaak, C.V. (2017). Chapitre 2. Les limites de l’herméneutique de la Physique aristotélicienne chez Heidegger. In: Interprétations phénoménologiques de la 'Physique' d’Aristote chez Heidegger et Patočka. Phaenomenologica, vol 223. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-56544-6_5

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