Strasbourg et Bourbaki

Résumé

Dans l’Inde, j’avais été tenu au courant, par ma mère, de la vie mouvementée qu’avait menée ma sœur (la «trollesse», comme nous la nommions dans notre jargon familial) au Puy où elle avait eu son premier poste comme professeur de philosophie au lycée de filles. Ses activités de cette année-là, et leurs suites, ont été décrites dans sa biographie, par Simone Pétrement, avec maints détails pittoresques, et je n’y reviendrai pas; qu’il suffise de dire ici qu’elle avait eu l’audace de serrer la main à des chômeurs en pleine place publique, puis d’accompagner leur délégation devant le conseil municipal, ce qui lui avait valu d’être menacée de sanctions administratives. Ces nouvelles m’avaient atteint au moment même où je me débattais contre l’administration d’Aligarh, et j’avais été enchanté, bien entendu, des défis que ma sœur portait aux pouvoirs établis; je lui avais adressé une lettre de félicitations qui commençait par «Etonnant Phénomène», à quoi elle avait répondu en me traitant philosophiquement de noumène. Le Puy dépendait du rectorat de Clermont. Rentrant à Paris en mai 1932, je m’arrêtai à Clermont où j’avais des amis, et j’en profitai pour rendre visite au recteur. Il me parut plutôt amusé par les aventures de ma sœur, qui devaient en effet former une diversion plaisante à la routine de ses occupations rectorales, et me dit que «le climat du Puy ne lui valait rien, mais rien du tout». Sachant qu’elle-même avait fini par souhaiter un changement de poste, je n’y contredis pas, et nous nous séparâmes cordialement.